Flânerie artistique à Tanger

Tanger la romantique, la farouche, l’insaisissable… Les qualificatifs ne manquent pas pour parler de Tanger. À un jet de pierre des côtes espagnoles, Tanger est la cité du détroit, avec Gibraltar en ligne de mire. La porte d’entrée d’un monde d’exotisme pour des générations de peintres éblouis par sa lumière, d’écrivains en mal d’inspiration et de simples candidats au départ, un ailleurs en tête.

Parfums d’Afrique

Il est dix heures, les échoppes peinent à ouvrir, Tanger l’Africaine n’a pas d’horaire.  Perdons-nous dans les ruelles de sa médina, un dédale de maisons en terrasses aux murs bleus, blancs et jaunes, de petits palais mauresques aux plafonds de cèdre sculpté et aux patios arborés, de passages voûtés et d’escaliers.

Des effluves d’épices se dégagent, de menthe fraîche et de tangerines, une variété de mandarine qui tient son nom de la ville, son principal port d’exportation. Des tisserands filent le coton dans des caravansérail centenaires, et des femmes viennent faire cuire pains et gâteaux dans le four du quartier. Tapis colorés et bijoux en argent…Suivons les traces des artistes qui ont fair de la Ville Blanche un mythe.

Tanger enchanta les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains. Elle fut portugaise, anglaise, espagnole, française, avant de devenir marocaine en 1956. Sas artères s’appellent Mendelssohn, Magellan, La Pérouse, rue d’Amérique ; ses boulevards, Paris et Pasteur. Sur la terrasse des Paresseux, à deux pas de la place de France, des Tangérois palabrent, face à une Europe si proche et pourtant si lointaine. Un peu plus bas, rue Velasquez, le Gran Teatro Cervantes, construit en 1913, fut longtemps la plus grande scène d’Afrique du Nord.

Autour de la médina, les façades sont Art déco et la kasbah, citadelle du pouvoir et point culminant de la ville, est bordée de bâtiments coloniaux. Elle se prête à une balade le long de ses remparts et dans l’ancien palais du sultan Moulay Ismaïl reconverti en musée. Le bord de mer a des allures de croisette, avec ses cafés, ses discothèques et son port de pêche où l’on peut déguster une friture avant d’aller à la plage.

Tanger est électrique, composite, cosmopolite, comme elle le fut de 1923 à l’indépendance du Maroc en 1956, quand le statut de « cité internationale » lui fut accordé. Un pays de cocagne avec neuf puissances garantes, trois langues officielles (l’arabe, le français, l’espagnol), quatre devises et une ribambelle de légations, de ministres plénipotentiaires et d’attachés militaires. Une ville interlope, assemblage de mondes parallèles où se croisaient espions et aventuriers, banquiers et contrebandiers, proxénètes et vrais truands ; Tanger était le lieu de tous les trafics et de tous les plaisirs.

Le paradis des écrivains

Tanger était aussi le lieu de rendez-vous de la beatgeneration, un mouvement né dans l’Amérique des années 1950, symbole de contestation des valeurs bourgeoises. À l’origine, trois hommes : Jack Kerouac, Allen Ginsberg et Burroughs. Ils se prenaient en photo dans les jardins du Muniria rebaptisés villa Delirium, au Deans’bar, au café Baba, dînaient au Parade, respiraient des bouffées de liberté et de haschisch, en vente libre dans les tabacs. Le plus assidu des amoureux de Tanger reste l’écrivain et compositeur Paul Bowles. Arrivé en 1947, il y a résidé jusqu’à sa mort, en 1999.

Dans la ville d’Ibn Battûta, le Marco Pola de l’Islam, on a toujours eu un faible pour les voyageurs. Bowles accueille dans sa Dream City ses amis Tennessee Williams et Truman Capote. On les retrouve à l’hôtel Villa de France, au Café de Paris, à la librairie des Colonnes, passage obligé des écrivains depuis 1949, ressuscitée en 20010 par Pierre Bergé.

Tanger foisonne de lieux de mémoire. Colette, Alexandre Dumas, Paul Morand, Montherlant, André Gide, Jean Genet, Saint-Exupéry… y posèrent leurs valises. On y croise Delacroix et Bacon. Matisse, ému par la lumière de la ville, loin des brumes de l’Europe, peint Paysage vu d’une fenêtre de sa chambre d’hôtel. En sortant de la médina par la porte Bab El Fahs, entre la ville marocaine et le Tanger contemporain imaginé par les Français, nous tombons sur la place du Grand Socco, si chère à Kessel. Les immeubles Art déco racontent son histoire, quand l’hôtel El Minzah, palace hispano-mauresque inauguré en 1930, accueillait Rita Hayworth et Aristote Onassis.

À deux pas, c’est la place du Petit Socco. Elizabeth Taylor et Truman Capote aimaient s’y prélasser autour d’une crêpe baghrir arrosée de miel et d’un thé à la menthe. Les Beatles, les Rolling Stones ou Jimi Hendrix y refirent le monde, échoués sur les terrasses du café Fuentes et du Tingis. Couturiers et philosophes ne pouvaient rester insensibles au tourbillon tangérois. On se souvient de la villa Mabrouka, surplombant le port, que le duo Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé a acquise dans les années 1990. On se souvient aussi des fêtes extravagantes de la Queen of Tanger, Barbara Hutton, héritière des magasins Woolworth, venue vivre le rêve marocain.

Il n’y a plus de fête dans la maison de Barbara Hutton, et le faste s’est un peu dissipé. La Villa Blanche, qui compte aujourd’hui plus d’un million d’âmes, brûle de devenir le plus grand port de Méditerranée. Avec ses constructions futuristes sur le front de mer, Tanger ne trahit pas sa réputation, celle d’un éclectisme architectural sans pareil et d’un cosmopolitisme à jamais inscrit dans ses gênes.